TICONDEROGA par Hugo Pratt et Héctor Oesterheld – Casterman

En 1957, dix ans avant l’apparition du marin le plus célèbre de la bande dessinée (non, il ne s’agit pas de Popeye), Pratt vit et travaille en Argentine. Hector Oesterheld, avec qui il a déjà animé le fameux Sergent Kirk vient de créer sa propre maison d’édition et pour le premier numéro de la revue Frontera les deux hommes mettent en place les aventures de Ticonderoga, un jeune coureur des bois durant les conflits anglo-français dans la Nouvelle-Angleterre du XVIIIe siècle. Pendant deux ans (parallèlement à la série Ernie Pike, également scénarisée par Oesterheld et publié dans Hero Cero une autre revue des éditions Frontera), Pratt va dessiner les aventures de Ticondera Flint et Caleb Lee avant de s’en détourner pour se consacrer à sa nouvelle création : Ann de la Jungle. Gisela Dester qui a assisté Pratt sur une dizaine d’épisodes reprendra seule le dessin de Ticonderoga jusqu’à l’arrêt de la série en 1962. De son côté, Oesterheld multipliera les collaborations entre autres avec Alberto Breccia (Mort Cinder). Auteur engagé, il publie, toujours avec Breccia et son fils Enrique, une biographie du Che. Militant de la gauche péroniste, il entre en clandestinité avant d’être arrêté et probablement exécuté par la junte militaire en 1978.

L’histoire de Ticonderoga est racontée à la première personne. Le vieux Caleb Lee, vétéran des guerres franco-anglaises et d’indépendance, en convalescence à la suite d’une vilaine blessure à la tête, relate ses souvenirs. À 15 ans, il s’était enrôlé comme volontaire dans l’armée britannique pour combattre les français : c’est le début de la Guerre de Sept ans. Il se lie d’amitié avec un jeune coureur des bois : Ticonderoga Flint qui va l’aider à se familiariser avec ces contrées sauvages et partager avec le jeune anglais sa connaissance des tribus amérindiennes. Caleb devra rapidement abandonner les préjugés hérités de son éducation britannique.

Derrière des scénarios d’aventure classiques, on sent la volonté d’Oesterheld de tracer une fresque historique où, événements et personnages réels croisent le destin des héros de papier. Ce même souci de documentation habite également Pratt et son dessin déjà très mature et bourré d’inventions graphiques fait la part belle à l’action. L’utilisation du lavis qui rehausse le trait magnifie les grands espaces ou les sous-bois. L’influence de récits tel le Dernier de Mohicans est évidente et Pratt réutilisera cet univers dans Wheeling (où Ticonderoga Flint fait d’ailleurs une brève apparition).

Pour cette édition, Casterman nous propose l’ensemble des épisodes sur lesquels Pratt a travaillé (il n’y a donc que la moitié des aventures de Ticonderoga). Ces récits n’avaient plus été réédités en français depuis 1982 (à l’époque parus aux Humanoïdes associés) et c’est donc un réel plaisir de pouvoir enfin (re)découvrir le travail de Pratt sur cette série. La présente édition (limitée à 7000 exemplaires) est proposée en deux albums (le premier à l’horizontale, le second à la verticale pour respecter les formats de parution) réunis dans un fourreau. La rareté des originaux de Ticonderoga et la piètre qualité d’impression des revues Frontera font que, malgré tout le soin apporté à l’énorme travail de restauration, la qualité de reproduction de certaines planches ne rend pas toujours hommage au travail de Pratt. De même, et ce sera notre seul bémol, que l’on peut s’interroger sur la pertinence d’opter pour un papier de couleur jaunâtre.

C’est donc une pièce historique qui vient d’être rééditée et À fond d’bulles ne peut que vous conseiller de vous replonger dans cette grande aventure. En plus, les fusils de Pratt font toujours « Crack ! » et c’est beau.

TICONDEROGA par Hugo Pratt et Héctor Oesterheld – Casterman - €49,00